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La Scena Musicale - Entrevue Web

Saulius Sondeckis, Le maître des cameratas

Par Stéphane Villemin / le 9 juin 2001

Saulius Sondeckis, directeur musical et fondateur de la Camerata de St Petersbourg et de l'Orchestre de Chambre de Lituanie, est venu diriger le Toronto Philarmonia en janvier 2001. Respecté par ses pairs et reconnu par les nombreux orchestres avec lesquels il a travaillé, il mène une carrière au service de la musique loin des lois du star system.


Saulius Sondeckis
SV: Vous avez commencé la musique par le violon en travaillant avec un élève de Stoliarski et d'Oistrakh. Une prestigieuse école de violon...

SS: Alexander Livont, mon professeur, avait travaillé essentiellement auprès de Stoliarski à Odessa. Lorsque ce dernier est mort, il a poursuivi avec Oistrakh, qui était lui-même un élève de Stoliarski, tout comme Milstein et Goldstein. Livont est revenu à Vilnius où il a formé plusieurs générations de violonistes dont Audrone Sharp (Sharpyte) qui enseigne maintenant à Toronto et moi-même qui ai été professeur de violon pendant de nombreuses années. Il est mort en 1974, agé de cinquante-quatre ans. L'occupation bolchévique a été la source d'un nombre inconsidérable d'éléments négatifs, dont la perte de l'indépendance pour nous Lituaniens. Cela a cependant facilité les échanges et augmenté le niveau musical de notre pays. Je ne voudrais pas dire qu'il y a eu du bon pour compenser le mauvais, non, rien ne peut le compenser. Même dans le milieu musical, tous nos accomplissements, au lieu d'être mis sur le compte de la Lituanie, étaient attribués à l'URSS. Tout était sous le joug du marteau et de la faucille.


SV: En plus de votre formation de violoniste, vous avez étudié la direction d'orchestre avec Igor Markevitch. Quelles étaient les grandes lignes de son enseignement?

SS: Après avoir été formé par Livont, je suis allé travailler à Moscou avec Strakov et je devins moi-même professeur de violon. En parallèle, j'étais très attiré par la direction. En 1963, Igor Markevitch qui faisait carrière à l'ouest a voulu faire un cadeau à l'URSS. Il a proposé à Moscou de donner des classes de maître au Conservatoire. Otto Müller était son assistant. Tous deux étaient complémentaires. Markevitch était très strict alors que Müller, étant plus jeune, était plus proche de nous.

Parmi les élèves, nous étions douze tout au plus. Mes condisciples étaient Maxime Chostakovitch, Johne Jukavitze, Juozas Domarkas.... Nous avons travaillé six jours par semaine pendant six mois. Imaginez le prix actuel que devraient payer de jeunes étudiants pour une telle formation! Mais Moscou réglait l'addition car les autorités pensaient faire de Markevitch un outil de propagande. Nous travaillions tous les matins au piano et l'après-midi à l'orchestre. Nous avons notamment travaillé toutes les symphonies de Beethoven. Markevitch et Müller insistaient beaucoup sur la technique. La direction d'orchestre ne s'improvise pas contrairement à ce que l'on pourrait penser. Il faut apprendre les règles de l'orchestre, la technique manuelle de direction. Sans ces notions, on perd en efficacité et la réponse de l'orchestre devient moindre. Cette école de direction m'a fait gagner beaucoup de temps par la suite.

Les échanges entre Kerry Straton et Saulius Sondeckis

Ils ont été organisés par la violoniste Audrone Sharp, particulièrement active sur la scène musicale torontoise. Après ses études à Vilnius et à Moscou, elle débuta dans l'Orchestre de Chambre de Lituanie sous la direction de Sondeckis avant de rejoindre le Toronto Philarmonia dirigé par Straton. Alors que le chef lituanien jouait au Canada, le chef canadien dirigeait à Vilnius et à Saint Pétersbourg. En plus du Toronto Philarmonia, Saulius Sondeckis dirigea aussi l'Orchestre de Chambre Lyra, fondé par Madame Sharp, à Toronto et à Hamilton.

SV: Avec votre jeune orchestre vous avez joué pour Karajan qui vous a dit: "Quand j'entends des jeunes musiciens jouer comme cela, je ne suis plus inquiet pour l'avenir de la musique".

SS: C'était en 1976 avec l'Orchestre du Gymnase MK Ciurlionis. Nous venions de gagner la médaille d'or du Concours Herbert von Karajan pour les jeunes orchestres.

SV: Et vous aviez déjà à cette époque créé l'Orchestre de Chambre de Lituanie que vous dirigez toujours quarante ans après.

SS: Cette longue collaboration a été facilitée par la méthode de recrutement puisque tous les musiciens qui composent l'orchestre sont mes anciens élèves. Ils ont déjà joué dans l'Orchestre des jeunes de l'Académie Ciurlionis et ont fait preuve des qualités exigées pour jouer dans l'Orchestre de Chambre de Lituanie. En outre, avant de jouer dans l'Orchestre de l'Académie, beaucoup participaient déjà à l'orchestre de l'Ecole de Musique, Grâce à toutes ces forces vives, il y a toujours un instrumentiste prêt à combler une place vacante dans l'Orchestre de Chambre de Lituanie.

SV: Vous avez collaboré étroitement avec Jean Guillou, Gidon Kremer, Igor Oistrakh, Yehudi Menuhin, Alfred Schnittke et Arvo Pärt pour ne citer qu'eux. Et Rostropovitch, comment le connaissez-vous?

SS: Nous nous sommes rencontrés grâce à ma femme qui était une de ses élèves au Conservatoire de Moscou. Il est venu à la maison et nous sommes devenus amis, mais pendant la période soviétique nous n'avons pas fait de musique ensemble. Un peu avant l'indépendance, Rostropovitch a souhaité faire une tournée avec nous en Espagne. C'était il y a dix ans, et alors que nous jouions, les Russes et leurs chars réprimaient la foule à Vilnius. Nous voulions garder les fruits du concert, à savoir 25000DM, pour acheter des médicaments, mais nous ne voulions pas impliquer Mstislav. Lorsqu'il est venu, il a dit: "Venez, avec nos 50000DM, nous allons envoyer le nécessaire pour le peuple lituanien". Il avait doublé la somme discrètement sans nous en avoir parlé.

SV: Votre répertoire s'étend de Bach à Schnittke, lequel vous a dédié son 3ème Concerto Grosso. Quelle place réservez-vous aux compositeurs lituaniens?

SS: La culture musicale lituanienne est quelque chose de très récent. Notre pays a perdu son temps et ses forces à se battre contre l'occupation, que ce soit par les Polonais, les Allemands ou les Russes. Ciurlionis a été le premier grand compositeur en plus d'être un grand peintre, ou vice versa. Mais entre 1918 et 1940, la création s'est à nouveau réendormie et rien, par exemple, n'a été écrit pour l'orchestre. En 1960, après la création de l'Orchestre de Chambre de Lituanie, les compositions pour orchestre se sont multipliées, notamment en 1961 avec les trois danses de Makatchinas. Aujourd'hui, nous avons un répertoire de 250 oeuvres écrites par des compositeurs de notre pays. Tous écrivent pour l'OCL. Je joue aussi beaucoup la musique de l'Estonien Arvo Pärt. Il nous a donné ses recommandations pour l'enregistrement de sa musique que nous avons réalisé pour le label ECM.

SV: Vous avez dit que votre femme était violoncelliste, vos enfants sont-ils eux aussi musiciens?

SS: Ma femme a longtemps été le premier violoncelle de l'OCL. Elle passe maintenant la plus grande partie de son temps à enseigner. Un de mes fils, Vytautas, est assistant au violoncelle principal de l'Orchestre de la NDR en Allemagne. Il vient d'enregistrer son premier disque pour Naxos. Paulus, quant à lui, est assistant au premier violon à l'Orchestre du Mozarteum de Salzbourg.


SV: Nous n'avons pas parlé de l'Orchestre de Chambre de St Pétersbourg que vous avez créé en 1988. Avez-vous d'autres orchestres?

SS: Oui, je dirige depuis peu un autre orchestre de jeunes en Grèce qui est l'Helos Orchestra de Patrau.

SV: Alors pourquoi pas un quatrième au Canada?

SS: En effet, pourquoi pas.


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(c) La Scena Musicale 2001